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Le processus de création : Euh! ou Bang! ?

Au milieu des années 1960, alors étudiant à la faculté de philosophie, ma rencontre avec le frère Jérôme, grand ami de Borduas, m’a fait comprendre que je devais retrouver la faculté d’émerveillement de l’enfant, sortir de ma tête, aller au-delà de ma raison et fonder ma créativité sur mon intuition et mon instinct. La moitié de mon œuvre picturale obéit à cette conception de la création. Des années plus tard, je découvrais les œuvres du plasticien Vasarely, père de l’art optique dont les œuvres obéissent à une géométrie précise. Entre ces deux voies, je navigue encore.

De deux choses l’une : ou bien la création se fait comme un éclair (bang!) et alors, aucune hésitation possible : c’est la voie courte… ou bien il faut y mettre beaucoup de temps, hésiter (euh!) : c’est la voie longue. Le processus de création se plie spontanément ou bien à la liberté la plus totale possible et l’œuvre se construit à mesure sans autre contrôle que celui de l’émotion et de l’imaginaire, ou bien il obéit à un procédé déterminé d’avance, à un plan réfléchi et calculé où la liberté d’expression est conditionnée, contrôlée et orientée par une idée, une structure.

La voie courte

Libertad
Acrylique sur toile (33" X 66") 2005 
Dans ce que j’appelle la voie courte, la respiration qui préside à l’élaboration de l’œuvre, est brève et instinctive, suspendue à la température de l’émotion et au rythme ponctuel de la perception sensorielle. L’œuvre est alors sujette à l’aléatoire de l’instantanéité. En cela elle constitue un danger : ça passe ou ça casse dès le premier geste. Cette voie représente un défi : celui de dépasser ses limites, de reculer les frontières du connu. Pas le temps de penser. Juste le temps d’être. Je risque le tout pour le tout. Je fais confiance au mouvement de la main (crayon, clavier, pinceau, truelle, voix). Alors l’œuvre, si elle est réussie, transcende la réalité en ce sens qu’elle se fait à moitié elle-même. Je ne dirige pas le flot des mots, la vague des sons, la danse des couleurs, le mouvement des formes. L’œuvre se crée de manière automatique pour une bonne part. Cette part d’aléatoire qui la constitue est en fait le ressort déclenché par l’imagination créatrice ou l’intuition elles-mêmes activées par une sensation, une émotion d’une haute intensité. C’est de l’art synthétique. Tout se fait en même temps : le geste, le choix des couleurs, la direction des courbes et des droites, l’épaisseur qui définit le relief. Dans ce cas, la gageure est de savoir quand partir, quand continuer et quand s’arrêter.

La voie courte est celle du poète poussant son crayon sans effacer, du chanteur et improvisateur musical poussant son chant, son cri dans un swing libre mû par l’énergie de l’instant et par l’écho de cette énergie revenant du public. Les seules assises pouvant garantir le succès de cette aventure sont la confiance en soi et l’assurance acquise grâce à certains réflexes obtenus par l’apprentissage de techniques éprouvées et par une rigoureuse discipline. À force de se jeter dans le vide, on finit par en avoir le goût comme un autre d’un sport extrême. La passion est l’étincelle qui allume toute forme de création. Certaines de mes toiles ont été peintes en quelques minutes. L’énergie immanente qui leur donne leur dimension cinétique et parfois giratoire est activée par des émotions fortes. Rien de mat. Rien de plat. Liberté inconditionnelle. Aucun tabou. Aucune règle. Constamment sur le bord du précipice. Saut joyeutal ou déchirant dans le vide. Touttt est dans touttt. Touttt est au bouttt : au bouttt de touttt. Création pure à partir de rien. Touttt est possible. Pourtant, (est-ce contradictoire ?), le pouvoir de l’imagination a parfois pour tremplin la raison.

La voie longue

Tournent tournent les instants
Tryptique : acrylique sur toile (22" X 66") 2016 
Le triptyque récent, ci-haut, est un exemple de la voie longue. Il est caractérisé par la multiplication de points en mouvance d’où se dégagent nettement les bouleaux « infinis » qui entrent et sortent de la toile. À l’arrière plan, j’y exploite le côtoiement des couleurs mates et des couleurs iridescentes disposées en courbes et créant un effet optique.

La voie longue exige une concentration soutenue : la respiration y est lente et profonde; elle enveloppe tout le processus de création lequel suppose une architecture plus complexe contenant les éléments fondamentaux de l’œuvre et leurs justes proportions. Complexe ne veut pas dire « compliqué » mais multitude d’éléments simples bien ordonnés. Comme la voie longue est une voie pensée, voire méditée pendant de longues heures, des mois, voire des années, elle contient une bonne part de principes universels et aussi bon nombre de procédures ou de procédés acquis par l’expérience et présidant aux décisions qui permettront d’élaborer une structure relativement contrôlable. L’œuvre est alors sujette à des choix rationnels, dont les symétries et dissymétries sont le mieux possible calculées selon les règles mathématiques de la géométrie. Cette voie représente une certaine sécurité fondée sur le fait que l’on peut prévoir la séquence des mouvements. On voit venir les choses et l’on a un certain temps pour les conduire à leur place, à la bonne place dans l’ensemble. Le danger ici, c’est de s’asseoir sur un procédé apparemment stable et éprouvé car les procédés peuvent devenir des automatismes, des réflexes. La voie longue est celle du philosophe, du pédagogue, du chercheur, du scientifique. Ars longa, vita brevis! (L’art est long! La vie est brève !) 

La voie du milieu

Cependant, une troisième voie, « la voie du milieu » est celle que j’emprunte actuellement. Sur cette voie, la marche des choses se fait tantôt à pas courts et rapides et tantôt, à pas lents et longs. La voie du milieu intègre spontanéité et rigueur, intuition et logique. En quête d’harmonie et d’équilibre, je tente de jeter des ponts entre les extrêmes : entre intuition et raison, entre l’éternel et l’éphémère, entre la réalité et le rêve. Peindre, c’est aller voir « ailleurs ».

Raôul Duguay

Le Saint-Armand V14N5 – avril-mai 2017

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