Le processus de création : Euh! ou Bang! ?
De deux choses l’une : ou bien la création se fait comme un éclair (bang!) et alors, aucune hésitation possible : c’est la voie courte… ou bien il faut y mettre beaucoup de temps, hésiter (euh!) : c’est la voie longue. Le processus de création se plie spontanément ou bien à la liberté la plus totale possible et l’œuvre se construit à mesure sans autre contrôle que celui de l’émotion et de l’imaginaire, ou bien il obéit à un procédé déterminé d’avance, à un plan réfléchi et calculé où la liberté d’expression est conditionnée, contrôlée et orientée par une idée, une structure.
La voie courte
Acrylique sur toile (33" X 66") 2005
La voie courte est celle du poète poussant son crayon sans effacer, du chanteur et improvisateur musical poussant son chant, son cri dans un swing libre mû par l’énergie de l’instant et par l’écho de cette énergie revenant du public. Les seules assises pouvant garantir le succès de cette aventure sont la confiance en soi et l’assurance acquise grâce à certains réflexes obtenus par l’apprentissage de techniques éprouvées et par une rigoureuse discipline. À force de se jeter dans le vide, on finit par en avoir le goût comme un autre d’un sport extrême. La passion est l’étincelle qui allume toute forme de création. Certaines de mes toiles ont été peintes en quelques minutes. L’énergie immanente qui leur donne leur dimension cinétique et parfois giratoire est activée par des émotions fortes. Rien de mat. Rien de plat. Liberté inconditionnelle. Aucun tabou. Aucune règle. Constamment sur le bord du précipice. Saut joyeutal ou déchirant dans le vide. Touttt est dans touttt. Touttt est au bouttt : au bouttt de touttt. Création pure à partir de rien. Touttt est possible. Pourtant, (est-ce contradictoire ?), le pouvoir de l’imagination a parfois pour tremplin la raison.
La voie longue
Le triptyque récent, ci-haut, est un exemple de la voie longue. Il est caractérisé par la multiplication de points en mouvance d’où se dégagent nettement les bouleaux « infinis » qui entrent et sortent de la toile. À l’arrière plan, j’y exploite le côtoiement des couleurs mates et des couleurs iridescentes disposées en courbes et créant un effet optique.
La voie longue exige une concentration soutenue : la respiration y est lente et profonde; elle enveloppe tout le processus de création lequel suppose une architecture plus complexe contenant les éléments fondamentaux de l’œuvre et leurs justes proportions. Complexe ne veut pas dire « compliqué » mais multitude d’éléments simples bien ordonnés. Comme la voie longue est une voie pensée, voire méditée pendant de longues heures, des mois, voire des années, elle contient une bonne part de principes universels et aussi bon nombre de procédures ou de procédés acquis par l’expérience et présidant aux décisions qui permettront d’élaborer une structure relativement contrôlable. L’œuvre est alors sujette à des choix rationnels, dont les symétries et dissymétries sont le mieux possible calculées selon les règles mathématiques de la géométrie. Cette voie représente une certaine sécurité fondée sur le fait que l’on peut prévoir la séquence des mouvements. On voit venir les choses et l’on a un certain temps pour les conduire à leur place, à la bonne place dans l’ensemble. Le danger ici, c’est de s’asseoir sur un procédé apparemment stable et éprouvé car les procédés peuvent devenir des automatismes, des réflexes. La voie longue est celle du philosophe, du pédagogue, du chercheur, du scientifique. Ars longa, vita brevis! (L’art est long! La vie est brève !)
La voie du milieu
Cependant, une troisième voie, « la voie du milieu » est celle que j’emprunte actuellement. Sur cette voie, la marche des choses se fait tantôt à pas courts et rapides et tantôt, à pas lents et longs. La voie du milieu intègre spontanéité et rigueur, intuition et logique. En quête d’harmonie et d’équilibre, je tente de jeter des ponts entre les extrêmes : entre intuition et raison, entre l’éternel et l’éphémère, entre la réalité et le rêve. Peindre, c’est aller voir « ailleurs ».
Raôul Duguay
Le Saint-Armand V14N5 – avril-mai 2017