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Le bénévolat

    Conférence de Raôul Duguay
    au Colloque du CRSBP (Québec et Chaudière-Appalaches)
    à l'Hôtel Plaza-Québec, Sainte-Foy, le 3 novembre 2001

Bravo! Merci!
Voilà les deux mots les plus motivants que je connaisse. Prononcés avec un sourire, voilà, avec la satisfaction du travail accompli, le véritable salaire de toute personne qui fait du bénévolat. Je suis donc venu ici pour vous donner des gros becs, pour vous applaudir et vous témoigner mon admiration. Comme vous êtes, pour la plupart, des bénévoles donnant généreusement temps et énergie à votre bibliothèque publique, laissez-moi vous féliciter et vous remercier car, en favorisant la quête de connaissance, de vérité et de beauté, en participant à la disparition de l'analphabétisme, à l'amélioration et à la sauvegarde de la langue française, vous êtes les piliers de la démocratie. Et bravo au Regroupement des bibliothèques publiques de Québec et Chaudière-Appalaches pour ce merveilleux et ingénieux programme d'éveil à la lecture nommé Trousse Bébé-Lecteur. Qu'un enfant soit abonné à une bibliothèque dès l'âge d'un an, je trouve ça génial.

Enfant, on me disait : « As-tu fait ta B.A. aujourd'hui? » B.A. pour « bonne action ». On me disait que faire une bonne action, c'était donner à quelqu'un la part de Dieu et cela me rendait responsable de mes paroles et de mes gestes dans mon entourage.

Parce qu'il est accueil et partage, le bénévolat est le tremplin d'un humanisme fécond. Et comme vous oeuvrez dans une bibliothèque, vous permettez à quantité de citoyens d'avoir accès à la mémoire de l'humanité et ce faisant, vous participez à l'évolution de l'espèce humaine, vous garantissez la suite d'un monde que l'on espère toujours meilleur. Merci et bravo. Grâce à vous, les infrastructures culturelles des régions de Québec et Chaudière-Appalaches s'améliorent constamment. Merci et bravo! Grâce à vous, des centaines d'activités d'animation, des ateliers, des expositions, des spectacles, des rencontres d'écrivains et des conférences permettent à des milliers de gens de connaître leur patrimoine local, leurs artistes, leurs écrivaines et écrivains. Bravo et merci encore!

On sait combien les peuples analphabètes sont sacrifiés sur l'autel du libéralisme mercantile et de la globalisation du commerce. Si la connaissance est le moteur de la démocratie, son carburant est la liberté de pensée, la liberté de dire, la liberté d'écrire ce que l'on sent et ce que l'on sait. Car plus on sait, plus on connaît le monde, mieux on peut le sentir, le ressentir et le pressentir et mieux on peut changer le cours de l'histoire dans le sens d'une plus grande liberté et d'une plus belle fraternité.

Tout le monde sait aujourd'hui que « liberté » et « sécurité » sont devenues des mots qui se confrontent et qui fragilisent la démocratie sur toute la planète. C'est pourquoi un humanisme nouveau doit renaître des cendres du terrorisme. Pour moi, l'une des plus pernicieuses formes de terrorisme, c'est l'ignorance. Le maintien de centaines de peuples dans l'ignorance (l'analphabétisme) est ce qui a creusé un canyon entre riches et pauvres, entre le nord et le sud, entre l'Occident et certains pays de l'Orient.

Si l'Organisation des Nations Unies a déclaré 2001, Année internationale des bénévoles, c'est pour rappeler au monde entier que sans le bénévolat, sans l'aide humanitaire sous toutes ses formes, ce monde s'effondrerait.

Le mot bénévole vient du latin benevolus, bene veut dire bien et volo, je veux. Une personne bénévole est donc, par définition, une personne qui veut le bien, qui veut le bien des autres, et qui le fait bien. Ainsi, le bénévolat répond aux trois grandes vertus chrétiennes : la foi, l'espérance et la charité. Avoir la foi en l'humanité, c'est nourrir l'espérance d'une humanité meilleure. C'est à cause de cette foi et de cette espérance que le ou la bénévole pratique la charité. La charité n'est ni l'aumône ni la pitié mais un autre mot pour dire tout l'amour que l'on porte aux êtres humains, quels qu'ils soient. La charité, l'amour, c'est le don généreux de soi, de son intelligence, de son savoir-faire et de son temps. Le temps que l'on prend pour aider son semblable à devenir meilleur est celui qui nous rend nous-mêmes meilleurs. Le temps que l'on donne gratuitement aux autres solidifie notre estime de soi. Et l'estime de soi est le fondement d'une personnalité qui a trouvé un sens à sa vie.

« Donner est plus doux que recevoir », disait l'illustre historien Ernest Renan.

« Le bénévolat est une nourriture pour l'âme, un baume pour le coeur », me disait une femme qui fait du bénévolat depuis 40 ans. Cela est certainement vrai autant pour les bénévoles que pour ceux qui bénéficient de leur générosité. C'est pourquoi le bénévolat n'a rien d'un sacrifice au service de la société car cette générosité que l'on manifeste dans l'action bénévole est diluée par le mérite qu'on en retire. Le bénévolat n'est pas un sacrifice, mais une offrande du meilleur de soi. C'est aussi un geste que l'on faitd'abord pour soi. Quand on s'engage à voler au secours d'une personne ou d'un organisme, il est certain que, même inconsciemment, on se valorise, non seulement aux yeux des autres, mais surtout à ses propres yeux. La plupart du temps, les bénévoles travaillent avec des gens qu'ils apprécient, dont ils estiment la valeur et qui leur témoignent leur appréciation et leur reconnaissance, ne serait-ce que par un sourire. Car, donner avec le sourire, c'est donner deux fois.

Selon une étude menée par Wheeler et associés, « 70 % des bénévoles croient avoir une meilleure qualité de vie que le reste de la population ». Pourquoi en est-il ainsi?

Parce que le bénévolat s'appuie sur un système de valeurs humanitaires, parce que faire le bien augmente nos chances d'être heureux et parce que notre bonheur personnel contribue à l'avènement de notre paix intérieure et de la paix dans le monde. Mais aussi parce que, lors d'une relation d'aide, le cerveau produit des endorphines, ces substances biochimiques analgésiques naturelles. Les endorphines ont pour effet d'accroître la sensation de bien-être et de calme, de stimuler le système immunitaire, d'atténuer le stress de la vie quotidienne et d'induire le sentiment de soutien social.

Selon un sondage Gallup, « plus de la moitié des bénévoles disent qu'ils continuent de faire du bénévolat parce que leur travail est utile (et la plupart du temps agréable) et qu'ils aiment aider les autres, tandis que le tiers d'entre eux disent aimer le travail qu'ils accomplissent et sentent qu'on a besoin d'eux ». Et selon Madame Ghyslaine Grauls, bénévole à temps complet depuis 40 ans et nommée bénévole de l'année de toute la Montérégie en 1994 : « Pour être bénévole, il faut beaucoup de patience, s'oublier soi-même et être tout simplement à l'écoute. C'est une richesse que d'être bénévole. » D'autre part, on constate que les bénévoles acquièrent une connaissance de plus en plus profonde des organismes dans lesquels ils s'impliquent et qu'ils sont en mesure de les faire avancer à l'aide des valeurs qu'ils partagent dans leurs milieux respectifs. On doit reconnaître que les bénévoles sont des personnes importantes dans notre système social. Être bénévole, c'est s'impliquer socialement. C'est pourquoi le bénévolat est la pierre d'assise de la démocratie. Sans les bénévoles, qui sont comme le levain dans la pâte, tout notre tissu social s'émietterait, disait un bénévole.

À l'heure de la mondialisation et de la chute des tours de la babel américaine du commerce international, au nom du capital, produits, services et individus sont de plus en plus échangés, numérisés, uniformisés et dépersonnalisés. Pour contrer cette déshumanisation qui infecte le tissu social de toutes les cultures du monde, ne doit-on pas passer d'une humanité prise en otage par la peur, où domine la stressante rentabilité de l'utile immédiat, à une humanité nouvelle où les relations humaines, agréables et respectueuses, redonnent un sens à l'utilité de l'être humain? Car ce n'est que lorsqu'on lui donne le sentiment qu'il est le capital le plus précieux qu'on peut vraiment mobiliser l'énergie positive de l'être humain. Si tout a un prix, produits et humains, existe-t-il des gestes non monnayables, des élans du coeur qui n'ont pas de prix, des gestes parfaitement gratuits?

Oui, au CRSBP de Québec et de Chaudière-Appalaches, il existe 2 768 êtres humains, 2 768 personnes dont le travail, totalisant 110 000 heures, est donné gratuitement à la société, à l humanité. Quand on pense que près de 250 000 citoyennes et citoyens dans 128 et bientôt 130 bibliothèques municipales dont 101 sont branchées sur Internet, ont accès à la culture livresque, on peut être sûr que, avec pas loin d'un million de prêts, de plus en plus, le monde va penser, développer son intelligence pour mieux comprendre le monde d'aujourd'hui et d'hier et imaginer ce que sera l'avenir. Et, fait remarquable, 95 % des bénévoles sont des femmes. Est-ce à dire que seulement 5 % des hommes ont le sens du bénévolat? Mais peut-être sont-ils sur le « terrain zéro » en train d'aider à sortir des décombres de l'apocalypse les 5 451 victimes de l'effondrement du World Trade Center ou bien en train de fouiller les grottes dans les montagnes de l'Afghanistan pour en faire sortir les Ben Laden de leur terrier ou bien sont-ils en train de comptabiliser leurs pertes d'argent?

Pourtant, dans ma petite municipalité de Saint-Armand de Philipsburg, aux confins de la Montérégie, près des frontières où on demande même aux poètes leurs papiers, c'est un homme qui a eu l'initiative d'offrir à la communauté les services d'une bibliothèque dont tous les livres ont été donnés par des citoyens. J'en ai donné quelques-uns, mes dernières parutions, car mes autres livres sont des antiquités que seules les grandes bibliothèques possèdent.

Voici mon dernier livre. Mon dix-septième. Il s'intitule entre la lettre et l'esprit. Si j'ai pu écrire ce livre, c'est parce que j'en ai lu des centaines d'autres. Dans ce livre, faisant partie de la collection Écrire des Éditions Trois-Pistoles dirigées par un monument de notre littérature, Victor-Lévy Beaulieu, dans ce livre, je réponds aux questions : « Comment et pourquoi écrire?" Je me suis retiré du monde pendant quatre mois pour écrire ce livre. Bien que tous mes livres soient des best-sellers (au Québec, quand on a vendu 500 recueils de poésie, on a écrit un best-seller), j'ai toujours considéré qu'écrire au Québec, pour 95 % des écrivaines et écrivains, c'est faire du bénévolat. Un écrivain touche 10 % du prix de vente de son livre. Deux ou trois dollars par livre, c'est à peine le salaire que j'ai aujourd'hui pour vous parler. Le CRSBP fait donc du bénévolat à mon endroit. Mais pour une conférence qui me paie assez pour que je puisse continuer d'écrire, j'en fais deux ou trois gratuitement. C'est par le bénévolat que je me suis fait connaître. En défendant toutes sortes de causes humanitaires. Et je continue de le faire parce que, quand je crois en quelque chose, je me fous de ne pas être payé pour l'appuyer. Mon salaire, c'est de faire ce que je dois faire. Écrire n'est pas seulement un plaisir mais un devoir, une responsabilité. Être bénévole, c'est être responsable de ses idées, de ses valeurs.

Voici quelques extraits de mon dernier livre. Ils concernent directement la lecture, l'écriture, la bibliothèque et la démocratie.

Entre la lettre et l'esprit toujours choisir les deux

Si l'écriture est la plus pauvre des économies

Écrire est aussi le plus riche des bénévolats
Toute écriture est le testament de l'humanité

Tout être humain devrait pouvoir lire et écrire

Écrire son nom lire écrire celui des siens

D'abord et surtout dans sa langue maternelle
L'alphabétisation de la planète tout entière
Est le premier combat de toute démocratie

J'ai mal à l'humanité qui ne sait ni lire ni écrire
Au KébèK une personne sur quatre ne lit pas
Un être humain sur deux ne lit ni n'écrit
La démocratie deviendra une réalité
Quand tout le monde pourra lire et écrire
Quand à la place de fusils et des canons
On donnera à tous les humains des crayons

La langue étant l'écho des cultures vivantes

Le socle de la démocratie c'est l'alphabet

Le livre garde le passé présent dans l'avenir

Le langage est un grand arbre généalogique
La profondeur de ses racines est l'histoire
La mémoire des temps monte dans son tronc
Et du cri au chant sa sève coule vers le haut
À la hauteur de sa cime pousse l'imaginaire
Car les mots sans cesse s'inventent un avenir
Et jusqu'à l'horizon s'étendent ses branches
Embrassant la circonférence de l'inconnu

L'écrivain est une bibliothèque ambulante

Toute écriture est le testament de l'humanité

Ce livre, c'est mon histoire personnelle, un grand morceau de ma vie, un miroir de mes émotions et de mes idées, mais une bibliothèque, c'est toute l'histoire, c'est l'histoire de toutes les histoires. En fait, mon écriture est le résultat et la synthèse de tout ce que j'ai vécu, senti et pensé, mais c'est aussi tout ce que j'ai senti et pensé en lisant quantité d'auteurs aux multiples horizons.

Si je n'avais pu, dès mon jeune âge, avoir accès à une bibliothèque, peut-être ne serais-je pas écrivain aujourd'hui car, issu d'une famille dont la fortune était très modeste, je ne pouvais acheter tous les livres que je voulais lire. Grâce à la bibliothèque où j'empruntais toutes sortes de livres, j'ai appris à écrire de plus en plus et de mieux en mieux dans ma langue maternelle.

Le mot bibliothèque vient du grec, biblion qui veut dire « livre » et de thèkè qui veut dire « armoire ». La bibliothèque est l'armoire de l'histoire. Elle a pour mission de conserver la pensée humaine au moyen d'écritures diverses et fixées sur des supports variés. C'est en lisant que j'ai découvert qu'au Vlle siècle avant J.-C. la bibliothèque d'Assurbanipal contenait 30 000 livres ou documents, sous forme de tablettes d'argile gravées de caractères cunéiformes et placées sur des étagères dans des jarres numérotées. J'ai appris aussi que sous le règne de Ptolémée 1er, vers 297 av. J.-C., les savants du monde entier accouraient à la bibliothèque d'Alexandrie en Égypte, pour y consulter quelques-uns de ses 700 000 volumes. Aujourd'hui, la Bibliothèque nationale du Québec compte quelque 450 000 documents dont 360 000 peuevent être consultés sur Internet.

C'est en lisant qu'on devient écrivain. C'est en lisant de vieux écrivains qu'on comprend parfois la littérature et le monde contemporains. Le Prométhée enchaîné d'Eschyle est un bel exemple de la pérennité du questionnement humain sur la naissance des lettres et des chiffres : « Pour eux, j'ai inventé les nombres, la première des sciences, mais j'ai aussi montré aux hommes comment combiner ensemble les lettres, cette mémoire de toutes choses, cette mère de tous les arts. »

Prométhée a inventé l'alphabet grec. Pourtant, Eschyle prétend plutôt qu'il a inventé d'abord la comptabilité. La vérité est probablement ailleurs : L'invention de l'écriture, dans les plus anciennes civilisations, a été directement reliée à celle de l'argent. Dans son dernier livre, Les Nerfs de la culture, Derrick de Kerckhove, digne disciple de Marshall McLuhan, écrit : « Le patrimoine culturel et technologique de l'Occident n'a qu'une seule source : l'alphabet... Repris et peaufiné durant 5 000 ans, l'alphabet est devenu le plus important concept à avoir jamais occupé l'esprit, l'âme et le corps de toutes les cultures humaines jusqu'à la découverte de l'électricité. »

L'électricité est la nouvelle langue universelle. Aujourd'hui, toute langue est numérisée, toute écriture, pixellée : Texte, son et image s'expriment en « bits ». Toutes les informations sur le réel sont véhiculées par des zéros et des uns. L'importance du chiffre, comme médiateur entre l'homme et le réel est l'un des signes de la pénétration du formalisme dans les mentalités. Le chiffre est omniprésent dans nos vies. Partout, on assiste à l'effacement des choses et des hommes derrière les chiffres qui les signifient. Le champ de cette dissolution des choses est un code quantitatif universel de la vie économique. Il est prévu que, en 2006, 70 % des foyers américains seront branchés sur Internet. Il est prévu aussi que le commerce électronique connaîtra une croissance exponentielle. La World Culture a absorbé le monde des communications et de l'information et celui de la culture. Les médias sont dominés par le marché et le profit. Le monde est une immense coquille souvent très vide. Le flot surabondant d'informations auquel nous avons facilement accès nous inonde.

Le poids des mots ne vaut pas le choc des images. Les images sont plus importantes que les choses et les hommes qu'elles représentent. « Les images, les chiffres et autres produits des médias se sont substitués aux réalités alors que leur raison d'être est de rapprocher les hommes de ces réalités. Nous assistons au conditionnement subtil des mentalités à l'échelle de la planète », écrit le philosophe Jacques Dufresne dans Après l'homme... le cyborg.

C'est pourquoi il est urgent de placer la réflexion que nous donne l'univers du livre avant le reflet que nous livrent les médias, qui prennent souvent la partie pour le tout. La culture actuelle est en danger de superficialité. Une culture de la profondeur, voilà ce dont nous avons besoin. Et c'est le temps que l'on prend à fréquenter les grands esprits assoupis dans les livres des bibliothèques qui nous donne un réel accès en profondeur aux réalités de ce monde.

Lise Bissonnette, la pdg de la Grande bibliothèque du Québec, qu'elle appelle « la nouvelle corne d'abondance » (L'Action nationale, septembre 1999) écrit : « L'un des secrets les plus gardés au Québec est la mutation des bibliothèques publiques en postes d'avant-garde de la société du savoir. La bibliothèque correspond à la démocratisation de la culture et du savoir. L'irruption, dans les bibliothèques publiques, de nouvelles clientèles réclamant de nouveaux services documentaires et scientifiques est irréversible. L'économie nouvelle, celle du savoir, a toujours besoin de documentation. »

Or, la culture est devenue l'élément essentiel de l'économie du savoir. Nous assistons aujourd'hui au choc de la culture et de la finance. Culture du commerce et commerce de la culture sont devenus presque synonymes. Comme l'écrit le cyberhippie Douglas Rushkoff : « Le Net est devenu une bulle boursière et ne relève plus du monde de la communication, mais de l' investissement. Le marketing a fait main basse sur le cyberespace. »

Car les nouvelles technologies du commerce portent la guerre à la culture qui leur a donné naissance. Les discussions sur le statut de la culture dans les traités de libre-échange provoquent la confrontation de deux valeurs : le profit et la vie. Ce faisant, elles questionnent l'autonomie des nations, voire,la pérennité de la démocratie : La culture doit-elle faire l'objet d'une exception ou être considérée de la même manière que n'importe quelle marchandise? Si le libéralisme économique l'emporte, il nivellera toutes les cultures, uniformisera tous les patrimoines et confondra les oeuvres et produits. Or, pour une bonne part, ce sont les bibliothèques qui contiennent les informations. Que seraient les bourses et que feraient les spéculateurs, les commerçants du libre-échange, sans informations locales, régionales, nationales et internationales?

On sait que le mécénat n'a jamais été le fort de l'entreprise privée envers les bibliothèques publiques au Québec. Ici, la contribution des entreprises privées aux budgets de l'industrie culturelle correspond à peine à 10 %. On sait aussi que pour plusieurs élus municipaux en quête constante de positionnement politique, il est beaucoup plus rentable d'investir dans la patinoire ou le terrain de baseball que dans la bibliothèque.

Investir dans la culture, c'est investir dans l'éducation, la démocratisation du savoir et l'humanisation des rapports sociaux. Quand on sait qu'au Canada une personne sur 4 est analphabète, quand on sait, selon les statistiques de 1998, que 43 % des Québécoises et Québécois ne lisent jamais un livre, on constate combien la situation de la lecture est pitoyable. Quand on sait que l'analphabétisme coûte des milliards de dollars par année aux entreprises privées et que les bibliothèques publiques constituent des intervenants privilégiés dans la prévention de l'analphabétisme, il est temps qu'on sollicite le milieu des affaires en vue du financement de nos bibliothèques publiques.

En 1992, les effets économiques des entreprises et organismes de la culture et des communications contribuaient au produit intérieur brut (PIB) pour 13,6 milliards de dollars, créant 217 500 emplois. Et pourtant, le sous-financement chronique des arts et des lettres met en péril la vitalité et le rayonnement d'une culture qui fait la fierté des citoyens du Québec et qui est au coeur de notre identité.

N'est-il pas nécessaire de rappeler aux financiers et à l'industrie privée que « la création artistique est à la culture ce que la recherche et le développement sont au secteur industriel et qu'au Québec la contribution économique des activités culturelles est équivalente à celles de l'agriculture, des forêts, des mines et des pêches réunies ». Mouvement pour les arts et les lettres (M.A.L.)

« Le mécénat à l'endroit des bibliothèques publiques se développera lorsqu'on percevra clairement les liens existants entre bibliothèque publique, alphabétisme et performances économiques; la prospérité économique sous-tendant le financement adéquat des bibliothèques », écrit Lise Bissonnette. Mais comme le dit Louise St-Pierre, dans un article paru dans L'Action nationale, les trois mots clés de la mission de la Grande bibliothèque du Québec sont : ACCÈS, DIFFUSION ET PROMOTION. La Grande bibliothèque du Québec a mission de stimuler la lecture publique et elle devra, pour remplir cette mission, innerver le monde des bibliothèques publiques.

Force nous est de constater que, actuellement, outre les instances gouvernementales, les véritables mécènes sont les bénévoles et les écrivains. Voilà pourquoi les bénévoles que vous êtes sont si précieux à l'avènement d'une conscience collective capable de nous faire entrer dans le troisième millénaire d'une humanité plus humaine, plus juste, plus pacifique et plus libre.

Encore une fois : Bravo et merci.

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