• ÉCRITURE
  • MUSIQUE
  • ARTS VISUELS

raoulduguay.net est le site officiel de Raôul Duguay, poète, chanteur, philosophe, peintre... bref, omnicréateur québécois.

Le contenu du site évoluera progressivement au rythme de l'inspiration et des événements.

Pour tout commentaire concernant le contenu, veuillez utiliser la fonction 'commentaire(s)' à la fin de chaque billet.

Pour faire des suggestions concernant le site Web lui-même, veuillez communiquer par courriel avec le webmestre.

Conception :
  Raôul Duguay et Jean Trudeau

Collaboration :
  Annie Reynaud

Réalisation :
  Jean Trudeau


Tous droits réservés.

Toute citation doit faire mention de l'auteur et de l'adresse url du site : raoulduguay.net.

Les documents pdf et mp3 peuvent être téléchargés à des fins d'utilisation personnelle seulement. Leur utilisation commerciale est soumise à la Loi sur le droit d'auteur.

Langue française et langue universelle : entre la lettre et le chiffre

Sur l'engagement :
Eau Secours!
L'essence de la vie
La soif des lacs

Pourquoi lire
Langue française
et langue universelle

Le bénévolat
    Conférence prononcée par Raôul Duguay
    à la Maison du citoyen de Hull, le 19 mars 2000
    dans le cadre des déjeuners-causeries d'Impératif français.

Mesdames et messieurs, merci et bravo de tenir pour impératif le besoin de partager la francophonie et de faire fleurir la beauté de la langue française. Un merci et un bravo particuliers à M. Jean-Paul Perreault, président d'Impératif français, et à toute son équipe pour leur générosité, leur courage et leur persévérance à défendre la langue française.

En guise de préambule à cette conférence, j'aimerais vous faire entendre mon tout dernier hymne au Kébèk. Pour moi, cette chanson signifie clairement mon engagement politique et ma foi inébranlable en la nécessité de rendre souveraine la langue française au Kébèk. (1)

Le Lys

Le vent se lève du plus profond de la terre
Debout dans la lumière j'écoute l'écho de l'histoire
Le souffle des ancêtres du plus profond de mon être
J'inspire leur mémoire leur espoir dans les blés mûrs d'un clair futur

Le vent soulève mon cerf-volant d'enfant
Blanche fleur qui s'élève et s'envole au bout du vent
Jusqu'au bout de mon rêve un pays dans une fleur
Le lys de mon coeur libre comme le vent
Libre comme le temps qu'il faut prendre pour apprendre
À le faire voler aussi haut que la liberté

Lys volant fais valser le ciel
J'ai semé trois cents printemps
La moisson sera grande et belle
Le temps est venu de récolter le fruit de mon rêve
Car de ce beau grand rêve d'amour
Mon pays mes amours se lève

Mon rêve se lève du plus profond de mon être
Mes ancêtres se lèvent rentrent dans l'histoire libérés
Essoufflée de se taire la voix de nos pères de nos mères
Voix de tout un peuple fier dans le ciel bleu s'élève

Lys volants faites valser le ciel
Avions semé trois cents printemps
La moisson sera grande et belle
Le temps est venu de récolter le fruit de notre rêve
Voici enfin venu le jour
Le pays de nos amours se lève

Paroles : Raôul Duguay. Musique : Pierre Nadeau - Claude Dubois - Raôul Duguay.
Extrait de l'album CASER Raôul Duguay, Les Disques Pingouin, PNC-126, 1999.


En même temps que le vingt-cinquième anniversaire d'Impératif français, advient la fête de l'Internet. Impératif français fête la beauté de la langue française (dont les racines sont l'alphabet gréco-romain), et, s'interroge sur la destinée de la francophonie, le partage culturel entre les peuples francophones. La langue d'Internet (dont les racines sont les chiffres 0 et 1) fête le règne de la vitesse et de l'accélération dans la transmission instantanée de l'information en n'importe quel point sur la planète. Après une étude menée dans 34 pays, la firme Angus Reid place le Canada au deuxième rang, avec 56% d'utilisateurs d'Internet, derrière les États-Unis, devant l'Europe et le Japon. Mais au KébèK, seulement 18% des foyers sont actuellement branchés. Bien sûr, la mise en place par le gouvernement d'un programme de branchement sur Internet pour les familles va améliorer les choses et les affaires. Et le rapport entre la vie et les affaires étant évident, l'annonce des états généraux sur la langue française à l'automne, augure bien. Étant donné toutefois que le site de la capitale du Canada est unilingue anglais et que le Canada a mis en tutelle l'Assemblée nationale, le débat sur la langue française au KébèK ne manquera pas de remettre en question les fondements de la démocratie en repositionnant les concepts de majorité et de minorité linguistiques. Ici, maintenant, comme tout ce qui concerne la langue est politique, quelle importance aura le fait d'être branché en français ou en anglais sur Internet?

Dans l'histoire du monde, Internet est le premier moyen d'information et de communication qui soit à la fois oral et écrit, public et privé, individuel et collectif. Est-ce la nouvelle Pentecôte, le miracle d'une langue enfin universelle, l'ultime espérance d'une humanité fraternellement interactive? À l'heure où les deux tiers de l'humanité ne jouissent pas des profits de l'économie internationale, à l'heure où un canyon se creuse entre les inforiches et les infopauvres et où 50% des humains n'ont même pas le téléphone et ne sont pas alphabétisés, faut-il prendre l'urgence de se brancher sur Internet au pied de la lettre? Et quant à l'esprit qui gouverne la signification humanitaire de cette révolution électronique, saura-t-il éclairer les chemins de l'évolution vers un plus-être et un mieux-être pour tous? Internet est vite devenu la plus grande bibliothèque du monde. Toute bibliothèque est par définition constituée de documents écrits dans une langue d'où émane à la fois le reflet d'une culture et une réflexion sur cette culture. Comme la langue est le premier et plus précieux patrimoine d'un peuple, elle est à la fois racines, sève et fleurs de son histoire et de son génie ainsi que l'ultime promesse des fruits de son avenir.

Au Vlle siècle av. J.-C., la bibliothèque d'Assurbanipal contenait 30000 documents, sous forme de tablettes d'argile gravées de caractères cunéiformes et placées sur des étagères dans des jarres numérotées. Aujourd'hui, grâce aux processus de miniaturisation, sept millions de transistors, serrés sur des puces de silicium plus petites qu'un timbre poste, contiennent et véhiculent plus d'informations que toutes les bibliothèques du monde. Aujourd'hui, la Bibliothèque nationale du KébèK compte 450000 documents dont 360000 peuvent être consultés sur Internet, mais cela n'est rien comparé à la bibliothèque mondiale d'Internet, qui compte bientôt 450 millions d'utilisateurs ayant accès à plus d'un milliard de pages Web.

L'ordinateur serait-il notre cerveau planétaire, la projection de notre conscience comme de notre inconscient collectif? Toutes les informations concernant l'humanité peuvent-elles être rassemblées en un si petit espace? Selon Michio Kaku (Visions, Albin Michel, 1999), de 1950 à 2000, le facteur d'accroissement de la puissance des ordinateurs aura été d'environ 10 milliards et, depuis 1920, le facteur de puissance informatique a augmenté de 1000 milliards.

Cependant, selon Inktomi, 86,55 % des documents Web sont en anglais et seulement 2,36% des sites sont en français. Pour nous qui nous interrogeons sur le sort de la langue française dans le monde, il est important de savoir que, selon Internet News, (octobre 1999), 96% des sites Web commerciaux, représentant 27% de l'économie mondiale sont en anglais, 70% des sites sont aux États-Unis et il est prévu qu'en 2006, 70% des citoyens des États-Unis seront branchés sur Internet, soit 200 millions de personnes. Ce n'est donc pas qu'au Canada, que l'anglais est la langue dominante. Heureusement, dès 2002, la part de l'Amérique du Nord active sur Internet baissait à 34,8%. La part de l'Europe de l'Ouest était de près de 30% et celle de l'Asie, de 22%. Est-ce à dire que bientôt tous les peuples de la Terre pourront librement exprimer leurs différences culturelles dans Internet? Car il est dit que la cyberculture, produit de la multiplication de la masse par la vitesse, permet d'aller à la rencontre de toutes les autres cultures de l'humanité dans la transparence et l'instantanéité. Est-ce la glorification de la démocratie? Est-ce grâce à Internet que nous vivrons enfin la liberté, la fraternité et l'égalité sur toute la Terre? Internet correspond-il vraiment à l'humanisation des relations humaines? Ne constate-t-on pas que plus on informe, moins on communique?

Internet, il est vrai, répond bien aux questions: Où? Quand? Comment? et Combien? mais qu'en est-il du « pourquoi » qui donne un sens à tous ces chiffres? La qualité de la lettre a-t-elle perdu son esprit, son contenu? Et pour dévoiler le véritable visage du monde, pourquoi faut-il prendre la surabondante quantité de chiffres au pied de la lettre? Si la richesse vraiment nouvelle est l'accessibilité à l'information par le biais d'Internet, la question fondamentale au sujet de la mondialisation n'est-elle pas une question de conscience individuelle et collective exigeant une redéfinition de notre système de valeurs, de notre code d'éthique planétaire? Comment le libéralisme économique et le darwinisme social peuvent-ils cohabiter avec la diversité culturelle et la biodiversité? Bien que le courriel soit une merveille technologique, le paradis terrestre tiendrait-il dans une puce de silicium grande comme un timbre poste?

"Or Yahvé descendit pour voir la ville et la tour que les hommes avaient bâties. Et Yahvé dit : « Voici que tous font un seul peuple et parlent une seule langue, et tel est le début de leurs entreprises! Maintenant, aucun dessein ne sera irréalisable pour eux. Allons! Descendons! Et là, confrontons leur langage pour qu'ils ne s'entendent plus les uns les autres."
(Genèse 11 : 5-7)


Cette citation de la Bible nous montre le pouvoir universel d'une langue unique et aussi, sa fragmentation, à la suite d'une orgueilleuse organisation de tendance totalitaire. Question : L'évolution de l'espèce humaine aurait-elle été possible sans la diversité culturelle des peuples?

"Pour Philippe Quéau, le problème du monde moderne relève directement de l'univers babélien; selon lui la question n'était pas que les architectes ne se comprenaient pas les uns les autres, mais qu'ils ne s'entendaient que trop bien. C'est le même universalisme dans les tendances actuelles à la comptabilité et à la standardisation dans les logiciels de traitement de l'information qui veut qu'on les compare avec les dangers d'une accumulation de pouvoir par une langue universelle."
Derrick de Kerckhove, Les Nerfs de la culture, Les Presses de l'Université Laval, 1998.


L'extrait de la Genèse nous montre le pouvoir universel d'une langue unique et aussi, sa chute. En l'an 2000, il y a trois langues uniques qui n'en font qu'une : l'argent, l'anglais et le code binaire. Cette trinité n'est plus un mystère pour personne. L'argent mène le monde, les conquérants possèdent l'argent et la langue des conquis de même que la clé du code binaire, langue universelle numérisée, ouvrant la porte de la nouvelle Babel. Or, la culture du commerce est vraiment planétaire. Internet est le plus grand centre commercial électronique au monde.

Voici comment je tranpose librement ce passage de la Bible dans un langage contemporain.

Or l'artisan monta en ville pour voir son fils, le cyberpunk devenu seigneur de la haute finance. Juché dans la plus haute tour de la plus grande banque, le fils dit à son père : « Ici, la langue unique et universelle, c'est l'argent. Avec l'argent tout est possible, voilà notre devise et nous la prenons au pied de la lettre. Ici, toute chose et tout humain ne sont que marchandises numérisées. Toute chose a un prix, tout humain a un prix. Tout s'achète et tout se vend : une auto, une maison, un homme, une femme, un pays. L'unique but de notre entreprise multinationale est le profit net, internet et extranet. Allons! Descendons dans la rue. Et là, mondialisons notre point de vue pour que tout le monde parle notre unique langue : celle des chiffres anglais.


Autrement dit, la culture des affaires est en train de devenir la culture universelle. Apatrides et apathiques, les multinationales ressemblent à l'idée qu'on se faisait de Dieu à la Renaissance : leur centre est partout et leur périphérie nulle part. Heureusement qu'il y a l'art pour donner de la profondeur, un sens à la culture. Pour la world culture une image vaut mille mots. Pour un poète, un mot, un vers valent mille images.

Il est écrit dans Le Prométhée enchaîné d'Eschyle : "Pour eux, j'ai inventé les nombres, la première des sciences, mais j'ai aussi montré aux hommes comment combiner ensemble les lettres, cette mémoire de toutes choses, cette mère de tous les arts."


On dit que Prométhée a inventé l'alphabet grec. Pourtant, Eschyle prétend plutôt qu'il a inventé d'abord la comptabilité. Coincidence curieuse, l'invention de l'écriture a été directement reliée à celle de l'argent. C'est la chercheuse américaine Denise Schmandt-Besserat qui, en solutionnant le mystère des pièces de monnaie sumériennes, a retracé non seulement les origines de l'argent imprimé sur des billes ou des plaques d'argile, mais en même temps les origines de l'écriture elle-même. Dans son dernier livre, Les Nerfs de la culture, Derrick de Kerckhove, digne disciple et continuateur de Marshall McLuhan, écrit :
"Le patrimoine culturel et technologique de l'Occident n'a qu'une seule source : l'alphabet... Repris et peaufiné pendant 5 000 ans, l'alphabet est devenu le plus important concept à avoir jamais occupé l'esprit, l'âme et le corps de toutes les cultures humaines jusqu'à la découverte de l'électricité... L'alphabet grec a été le premier transporteur public de l'information en Occident. Aujourd'hui, toute information passe par le traitement numérique... Aujourd'hui, la nature même de l'argent change. Elle devient de l'énergie pure quand elle atteint la vitesse de la lumière? La langue est le logiciel qui fait fonctionner la psychologie humaine. Toute technologie qui exerce une action de façon significative sur la langue doit aussi peser sur le comportement aux plans physique, émotionnel et mental. L'alphabet est comme un programme d'ordinateur, mais il est plus puissant, plus précis, plus universel que tous les logiciels existants."


En fait, la nouvelle langue universelle, celle du techno sapiens et bientôt du cyborg, c'est l'électricité. Sans électricité, pas d'ordinateur. Sans ordinateur, pas de numérisation des données. Aujourd'hui, toute langue est numérisée : texte, son et images s'expriment en bits (sauf La Bittt à Tibi!) Toutes les informations sur le réel sont véhiculées par des zéros et des uns. Les cultures qui ne seront pas numérisées seront confinées dans la marge du monde. Comme, en 1440, Gutenberg nous a fait passer du manuscrit à l'imprimé, Gates et ses pareils nous obligent à passer, littéralement, de l'imprimé au numérique. C'est par la voie de la numérisation universelle et par l'intégration des technologies électroniques que l'intelligence artificielle, les systèmes experts et les réseaux neuromimétiques envahissent tous les médias afin de faire converger les technologies de l'audio, de la vidéo, des télécommunications et de l'ordinateur.

Le chiffre est omniprésent dans nos vies. Partout, on assiste à l'effacement des choses et des hommes derrière les chiffres qui les signifient. Le champ de cette dissolution des choses et des êtres à travers le code binaire ouvre la voie à l'économie de marché et à la croissance exponentielle du commerce électronique.

Pour le cyber-hyppie Douglas Rushkoff, « le Net est devenu une bulle boursière et ne relève plus du monde de la communication, mais de l'investissement. Le marketing a fait main basse sur le cyberespace ». À preuve, le mariage d'AOL et de Time Warner (valeur boursière : 350 milliards de dollars américains), le plus important fournisseur de services Internet au monde. Donc, la world culture a absorbé le monde des communications, de l'information et de la culture ou plutôt du divertissement sensationnaliste. La culture est en danger de superficialité. Et nous avons besoin de profondeur. Le poids des mots ne vaut plus le choc des images. Les images sont plus importantes que les choses et les hommes qu'elles représentent. Dans Après l'homme... le cyborg, le philosophe kébékois Jacques Dufresne résume bien la situation : "Les images, les chiffres et autres produits des médias se sont substitués aux réalités alors que leur raison d'être est de rapprocher les hommes de ces réalités. Nous assistons au conditionnement subtil des mentalités à l'échelle de la planète."


L'un de ces conditionnements, c'est l'assujettissement de toutes les langues à la domination de la langue anglaise. Mais en quoi les nouvelles technologies ont-elles à voir avec la francophonie? Les nouvelles technologies du commerce portent la guerre à la culture qui leur a donné naissance. Les discussions sur le statut de la culture dans les traités de libre-échange provoquent la confrontation de deux types de valeurs : les valeurs boursières et les valeurs humaines, autrement dit, c'est la bourse ou la vie. La culture doit-elle faire l'objet d'une exception dans l'Accord multilatéral sur les investissements ou être considérée de la même manière que n'importe quelle marchandise? À Seattle, « le profit ou la vie » était la véritable question lancée à la face des multinationales. Si le libéralisme économique triomphe, il nivellera toutes les cultures, uniformisera tous les patrimoines et confondra les oeuvres avec les produits, mettant en danger l'autonomie des nations et le principe même de la démocratie sur cette planète. Et la démocratie concerne directement l'humanisation de l'humanité.

"S'affirmer francophone, c'est tout naturellement défendre la langue française que nous partageons et que nous aimons. À l'heure de la mondialisation des échanges, c'est d'abord vouloir rester soi-même. C'est refuser que s'impose une langue unique. C'est refuser l'appauvrissement de l'humanité."
Jacques Chirac, président français (AIMF 1997)


Question : L'unification de l'humanité doit-elle forcément passer par l'uniformisation et la standardisation des langues et des cultures?

Or, nous assistons aujourd'hui à l'anglicisation systématique des pays européens non anglophones. La Banque Centrale Européenne dont le site Internet est unilingue anglais force l'Europe française à être de plus en plus étrangère à elle-même. Même la France se défrancise. Les colloques scientifiques et universitaires français s'autoanglicisent. Au Kébèk, selon l'Office québécois de la langue française, le secteur public qui s'éloigne le plus de l'usage de la langue française est celui de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique... Plus on est élevé dans l'ordre scolaire (collégial et universitaire) et plus on est dans des domaines techniques et plus on fait usage des technologies de pointe, moins on utilise le français.

En France, « les éditeurs de logiciels veulent se faire passer pour des sociétés américaines -- dernière approche que des élites mentalement infériorisées ont jugée opportune pour conquérir les marchés mondiaux -- et même si les plus brillants informaticiens français travaillent pour ILOG ou pour REALVIZ, sociétés françaises qui excluent totalement la langue française de leurs logiciels... », Charles Durand, professeur en génie informatique, doit souffrir en lisant cette réponse de REALVIZ : « Nous sommes desoles de vous avoir froisse en commettant cette infidelite a notre belle langue, mais le marche francais etant trop petit pour notre modeste societe, nous sommes obliges d'adopter une langue d'expression commerciale comprise par le plus grand nombre sur la planete. » Cette réponse était rédigée sur un clavier anglais, donc sans aucun accent.

Et ici au KébèK, il aura fallu un ultimatum de Louise Beaudoin, responsable de la Charte de la langue française, pour que les manuels d'utilisation des jeux Pokémon, Nintendo et Playstation soient traduits en français. Même la Chine tombe dans le piège. Monsieur Li, professeur d'anglais, considère que la Chine, avec ses 5 000 ans d'histoire est aujourd'hui une nation arriérée et que les Chinois doivent apprendre l'anglais pour être concurrentiels. On est loin de la révolution culturelle de Mao qui avait fermé la porte à toute culture autre que la culture chinoise.

Au Maghreb, près de 13 millions de personnes parlent couramment le berbère. Cette langue n'étant pas reconnue officiellement, les parents envoient leurs enfants étudier dans des écoles de langue arabe, française ou anglaise. Résultat : Le berbère est en voie de disparition. On a évalué que dans 100 ans, il est écrit que la moitié des 6 000 langues et dialectes parlés sur cette Terre aura disparu. Une langue meurt tous les 15 jours. Et bien que 87% du KébèK soit francophone, dans 6 ou 7 ans, les francophones de Montréal seront minoritaires. Pour préserver, protéger et perpétuer la langue française, le Kébèk doit se franciser de plus en plus et, comme l'ont fait l'Inde, la Lituanie, la Lettonie, la Californie et 23 États américains concernant leur langue majoritaire, imposer le français comme langue de travail et comme langue d'usage public.

Si l'impérialisme économique s'est vite transformé en impérialisme culturel planétaire, c'est à cause de la domination de la langue anglaise. Je n'ai personnellement rien contre la langue anglaise mais malheureusement, en uniformisant les cultures, cette mondialisation de l'anglais rend l'humain unidimensionnel et met dans le formol cette richesse de l'évolution qu'est la diversité. La diversité au Canada, c'est la différence culturelle qu'est le KébèK.

Je me souviens qu'en 1867 la Confédération a été votée à 13 voix contre 12. Je me souviendrai jusqu'à la fin de mes jours que Chrétien et Dion nous ont passé un très gros sapin en votant le Bill C-20 qui veut nous faire croire, contrairement à ce qu'en dit l'ONU, qu'on ne peut faire un pays avec 50% des votes plus 1.

"Je compare cet acte très grave, cette attaque inacceptable et déshonorante contre la démocratie québécoise à ce qui s'est passé en 1982, lors du rapatriement de la constitution. "(Lucien Bouchard, premier ministre du Québec, à propos du projet de loi C-20. Cité dans Le Devoir, 17 mars 2000)


L'histoire nous le démontre. Le Canada est une mosaïque de communautés disparates qui n'ont jamais été attirées l'une vers l'autre par le coeur. Ne vaut-il vraiment pas la peine de se séparer quand le mariage n'a pas été consommé et que, comme de raison, ce mariage s'est fait de force? Car, en 1982, la reine Élisabeth proclamait la souveraineté du Canada et le traître Trudeau rapatriait la Constitution et ce, sans le consentement du KébèK. Et 10 ans plus tard, à Charlottetown, toute l'anglophonie canadienne disait non à la francophonie kébékoise. Comme le père anglo-saxon n'a jamais fait jouir la mère kébékoise, le divorce n'est-il pas ce qui est le plus « raisonnable »?

Question : L'unité d'un pays peut-elle s'accomplir sans respecter démocratiquement ses différences linguistiques et culturelles? Jean-Marc Léger a écrit:"C'est dans sa langue et par elle que notre peuple renoue avec son histoire." Et Fernand Dumont de renchérir:"Pour être citoyen, deux savoirs sont indispensables : la langue et l'histoire."

La langue unique du conquérant a toujours été celle du pouvoir. Une langue unique peut unifier un peuple comme elle peut le diviser. La langue française unifie et identifie le KébèK à 87% mais en 2006, à Montréal, les francophones seront minoritaires. Dans la région de Québec, la proportion de francophones dans les écoles anglaises est passée de 28% en 1983-1984 à près de 60% en 1999 et « à elle seule, nous dit Jean-Paul Perreault, président d'Impératif français, l'Outaouais serait responsable de 53,7% du solde net des transferts de l'ensemble du KébèK vers l'anglais. » (L'Action nationale, février 2000). La langue anglaise unifie et identifie le Canada, mais divise le KébèK. Or, un peuple qui n'est plus capable d'assumer et de défendre son identité, donc ses différences, sera assimilé. Selon Charles Castonguay, « le taux d'anglicisation des francophones hors Québec âgés de 25 à 34 ans était de 40,3% en 1996». C'est ce que les démographes appellent un processus de disparition tendancielle.

Comme le KébèK est un îlot francophone cerné par un océan anglophone, il me semble impérieux d'en protéger l'unicité et d'en défendre l'identité. Et comme l'écrit Pierre Vadeboncoeur dans L'Action nationale (octobre 1997) : « Toute cohésion politique d'une population ou d'un pays tient à un sens identitaire. La solidarité identitaire et dominante des anglophones dans ce pays est sans faille et extrêmement agissante... Notre souci identitaire à nous est si imparfait qu'il nous laisse gravement divisés contre nous-mêmes. Notre identité devient en quelque sorte la propriété d'autrui. » Pourquoi en est-il ainsi? Est-ce parce que notre être national est conditionné par nos avoirs personnels? Avons-nous peur qu'en gagnant notre être, en passant de province à pays, nous perdrons nos avoirs?

Devant la souveraineté de la langue anglaise en Amérique du Nord est-il encore possible que la langue française soit souveraine au KébèK? Est-il possible de respecter la lettre, c'est-à-dire la culture sans perdre les chiffres, c'est-à-dire le positionnement économique sur l'échiquier national et international? Oui, si nous devenons maîtres de notre économie. Comme nous représentons plus des quatre cinquièmes de la population kébékoise et que nous ne maîtrisons même pas le quart de nos activités financières; comme, en 1997, nous avons déporté 300 milliards de dollars de notre épargne, que plus de 100 milliards de dollars de nos régimes de retraite ont été placés dans d'autres provinces et pays, sinon détournés par le fédéral, etc, il est temps que nous jouissions nous-mêmes du fruit de notre labeur.

Est-il possible de parler souverainement notre belle langue française? Oui, si nous avons assez de respect pour nous-mêmes, en tant qu'individus, en tant que collectivité. Oui, si nous refusons que le fédéral finance le Printemps du KébèK à Paris, invitation expresse de la France à lui faire découvrir notre culture essentiellement francophone. Oui, si nous refusons que Les Jeux de la Francophonie soient en anglais... Oui, si nous dénonçons le fait d'être représentés au Sommet de la Francophonie à Moncton par une députée et une sénatrice fédérales unilingues anglaises. Oui, s'il nous reste assez de fierté pour exiger le respect de notre langue partout au KébèK : au foyer, au travail, dans les lieux publics.

Quant à moi, il y a longtemps que mon choix est fait car être libre, c'est justement choisir. Je suis un Kébékois universel. C'est une question de dignité, de respect de moi-même et des miens car je porte tout un peuple dans mon coeur et dans ma tête. Quand le coeur de chaque Kébékoise, de chaque Kébékois, battra d'un même rêve de liberté, alors, ensemble, nous porterons notre pays et notre pays nous portera jusqu'au concert des nations. Un seul point d'appui nous suffit pour soulever le KébèK au rang des pays libres et entrer chez nous par la grande porte. Ce point d'appui, c'est chacune et chacun de nous : c'est notre parole souverainement francophone.

En guise de conclusion à cette conférence, permettez-moi de vous offrir cet hymne au Saint-Laurent, colonne vertébrale de notre histoire, de notre économie, de notre culture :


Ô Saint-Laurent
Soulève tes vagues d'espérance
Et porte ton peuple qui se lève
S'avance fier de sa liberté
Unique en Amérique
Uni sous le fleurdelisé

Grand fleuve notre sève
Berceau de tous nos rêves
Abreuve-nous de ton abondance
De ta splendeur et de ta jouvence
Et souverainement

Fais monter dans nos coeurs ton chant
Grand fleuve de passage
Baigne encore les rivages
De nos villes de nos cent un villages
Voyage en mer jusqu'au bout de la Terre
Ta beauté souveraine

Reviens chanter : « Je me souviens »


Paroles : Raôul Duguay
Musique : Yvan Ouellet



____________________
Notes et références

(1) La transformation de la graphie du mot Québec en Kébèk, pourrait être vue comme une licence ou une fantaisie poétique. Il n'en est rien. Deux faits historiques peuvent justifier ce choix:

  1. Sur une plaque de bronze, devant la porte du sanctuaire Notre-Dame-des-Victoires, Place Royale, dans la Vieille Capitale, il est écrit : « Cette église érigée sous le vocable de l'Enfant-Jésus en 1688, sur l'emplacement du vieux magasin du Roy, prit le nom de Notre-DamedelaVictoire en 1690 et de Notre-Dame-des-Victoire en 1711. » En pénétrant dans l'église, on peut lire, au-dessus du maître-autel, une fresque portant l'inscription « Kebeka liberata » (traduction : Kébèk libéré ou Kébèk libre!) représentant la délivrance de Québec, le 22 octobre 1690, jour où l'amiral Phipps leva le siège de la ville à la suite à la fameuse réponse de Frontenac : « Je lui répondrai par la bouche de mes canons! ». L'autre inscription : « Deus providebat » (traduction : Dieu veillait sur le salut de Kébèk), montre le naufrage d'une bonne partie de la flotte anglaise de l'amiral Walker à l'île aux Oeufs, en 1711. Pour moi, la graphie du mot représentant le pays Kébèk signifie victoire, avec ou sans Notre-Dame. Dès le début des années 70, le poète Paul Chamberland et moi avons adopté cette graphie qui rend le pays lisible à l'endroit comme à l'envers.


  2. Bien qu'elle puisse paraître une entorse au code linguistique, la transformation de la graphie Québec en Kébèk peut se justifier par le fait que la lettre Q n'existe pas dans l'alphabet de nos ancêtres les Bretons, qui furent parmi les premiers Français à venir s'établir au Kébèk. C'est lorsque François 1er perdit son royaume aux mains des Anglais que la lettre K fut remplacée par la lettre Q. Le maître conquérant s'empare toujours de la langue de ceux qu'il conquiert.

@   |   #  |  haut  | @  >>